'La Conservation-Forteresse': l'impact actuel sur les populations autochtones
Par Colin Luoma
Les peuples autochtones de la République démocratique du Congo (RDC) sont largement reconnus comme les premiers habitants du pays. En tant que peuples fondés sur la terre, ils possèdent des modes de vie uniques, formés par la vie en symbiose avec les forêts riches en biodiversité du bassin du Congo. Depuis des millénaires, ils ont façonné ces paysages de manière positive en utilisant des pratiques traditionnelles et une gestion durable des ressources. En même temps, la vie en forêt a physiquement soutenu ces groupes, tout en constituant le centre de leur vie intellectuelle, spirituelle et culturelle. Par conséquent, les peuples autochtones de la RDC dérivent leur identité distincte de leur relation sacrée avec la forêt.
Le colonialisme a perturbé à plusieurs reprises ces liens délicats et à la fois intimes. De nombreux groupes indigènes de la RDC ont été chassés de leurs terres au nom du développement, y compris par des projets d'exploitation forestière industrielle qui ont fait beaucoup de mal aux forêts et à leurs gardiens d'origine. Cependant, une menace principale pour les peuples autochtones provient de l'industrie de la conservation et, en particulier, de la prolifération des zones protégées gérées par l'État dans le pays. Les zones protégées de la RDC - telles que les parcs nationaux, les réserves forestières et les réserves de chasse - ont été créées sur des territoires autochtones sans avoir obtenu leur consentement libre, préalable et éclairé, comme l'exige le droit international.
Ceci est souvent abordée sous la bannière de la 'conservation-forteresse', un terme de plus en plus utilisé pour décrire les approches de la conservation de la nature qui déplacent les peuples autochtones, ou d'autres communautés dépendantes de la terre, de leurs terres et territoires pour établir des zones strictement protégées, gérées par l'État, qui sont ensuite violemment contrôlées. Le modèle de conservation-forteresse exige que d'immenses étendues de terre soient désignées et délimitées au profit d'autres personnes (touristes occidentaux, scientifiques et, dans certains cas, industries extractives), mais pas des peuples indigènes qui vivent depuis longtemps en symbiose avec leurs environnements naturels, les façonnant et les sauvegardant de manière responsable pour les générations futures. Sans le droit de se livrer à des activités de subsistance, notamment la chasse, la cueillette et la culture selon leurs méthodes traditionnelles, les peuples autochtones s'appauvrissent profondément et deviennent souvent dépendants d'autres communautés où ils sont victimes de discrimination.
Dans l'est de la RDC, la communauté indigène Batwa de la forêt de Kahuzi-Biega a été violemment et brusquement expulsée de sa maison dans la forêt pour ouvrir la voie à la création du Parc National de Kahuzi-Biega, un site du Patrimoine Mondial de l'UNESCO et une destination touristique pour ceux qui cherchent à voir les gorilles de Grauer, une espèce menacée. Ces expulsions ont été menées sans aucune forme de consultation, de compensation ni d'arrangement alternatif. Pendant des décennies, les Batwa ont vécu sans terre et dans la pauvreté dans des villages d'accueil situés à la périphérie du parc, dans l'attente d'une solution à leur exclusion de longue date de leurs terres et de leurs ressources. Lorsque les communautés Batwa cherchent à retourner dans la forêt pour cueillir des plantes médicinales, chasser de petits animaux, visiter leurs sites sacrés ou pour poursuivre d'autres aspects de leur vie communautaire dans la forêt, elles sont confrontées par une violence extrême de la part d'une unité fortement militarisée de gardes du parc financée, équipée et formée par des gouvernements occidentaux et des ONG mondiales de conservation. Ceci a entraîné des violations extrêmement graves et flagrantes des droits de l'homme à l'encontre des Batwa.
Le Parc National de Kahuzi-Biega n'est qu'un exemple d'un projet de conservation violent qui a irrévocablement perturbé la vie des peuples autochtones et a rompu leur lien avec leurs terres et leurs identités culturelles. En RDC et dans le monde entier, la conservation-forteresse constitue une menace existentielle pour les peuples autochtones et leurs territoires. Elle cause d'immenses souffrances humaines, et invariablement elle ne satisfait pas aux attentes et aux objectifs environnementaux. En effet, les écosystèmes restent très largement en péril - preuve que les aires protégées gérées par l'État dans la région ne parviennent pas à répondre aux défis environnementaux collectifs de notre époque. Pour sauvegarder les droits des peuples autochtones et combattre les crises environnementales auxquelles notre planète est confrontée, nous devons nous opposer fermement à l'idée insidieuse selon laquelle l'homme est incompatible avec la nature et veiller à ce que ces peuples autochtones puissent posséder, gouverner et contrôler leurs lieux sacrés.
À propos de l'auteur
Colin Luoma - est Conférencier à l'Ecole de Droit de Brunel, où ses recherches portent sur les croisements entre les droits culturels, les droits des peuples autochtones et des minorités, et la justice environnementale. Il était auparavant Chercheur Juridique pour le Groupe International des Droits des Minorités (Minority Rights Group International) où il a travaillé sur des litiges, des plaidoyers et des recherches concernant la conservation de la biodiversité et les droits des peuples indigènes en vertu du droit international. Il est titulaire d'un Doctorat en Droit et d'un Diplôme de Juris Doctor et il est avocat qualifié aux Etats-Unis