De Harrison à Paddington – Un Parcours
Par Yasmin Stefanov-King
En novembre 2014, Heyday Films ; StudioCanal ; TF1 Films Production ; ont sorti le film Paddington, basé sur les livres de Michael Bond [1].
Les histoires originales étaient déclenchées par un ours en peluche isolé, laissé sur les étagères d'un magasin londonien la veille de Noël 1956 [3], et par le souvenir d'enfants évacués pendant la Seconde Guerre mondiale [4]. Cependant, si le film abordait le thème des réfugiés par le biais de l'étiquette emblématique "Please look after this bear" ('Veuillez prendre soin de cet ours'), l'histoire principale était beaucoup plus sombre.
L'histoire raconte qu'un membre de la Société géographique britannique (British Geographical Society), Montgomery Clyde, qui, alors qu'il explorait 'le Pérou le plus profond et le plus sombre', a rencontré une espèce d'ours inconnue. Comme tous les explorateurs à la fin du 19e et au début du 20e siècle, son instinct le poussait à tirer, tuer et empailler l'ours, pour le ramener en Angleterre où il aurait une place de choix et assurerait que Clyde devienne célèbre.
Mais au lieu de cela, il découvre que ces ours savent parler, et en conséquence il leur apprend les plaisirs de manger la marmelade et leur fait promettre que s'ils viennent un jour en Angleterre, ils doivent absolument venir le trouver. À son retour en Angleterre, il est ridiculisé pour sa sentimentalité car il n'a pas rapporté un spécimen, il est banni de la Société géographique britannique ("British Geographical Society") et sa famille est ruinée. Sa fille, Millicent Clyde, lorsqu'elle grandit, devient directrice d'un musée, et elle s'est passionnée par la collection d'animaux rares sur lesquels elle pratique la taxidermie. Lorsqu'elle entend parler de Paddington, son seul but est de l'acquérir pour sa collection et de l'exposer dans une vitrine dans la cage d'escalier.
Il s'agit d'un film, mais les courants sous-jacents de cette façon d'appréhender le monde reflètent tout à fait les écrits et les comportements de l'époque, et Harrison en est un exemple. Les livres de l'époque parlent de "l'Afrique la plus profonde et la plus sombre", ce qui reflète le Pérou du film. Ces images de Montgomery Clyde, depuis ses vêtements jusqu'à son attitude, sont basées sur les comportements des explorateurs qui parcouraient le monde, résolus à acquérir un échantillon de tout ce qu'ils pouvaient, et si c'était rare ou dangereux, alors tant mieux.
À l'époque, les photos ne suffisaient pas, il fallait la créature réelle. Mais comme il est évident dans le cas de la collection Harrison, que se passe-t-il quand on ramène toutes ces choses à la maison ? Soudain, la créature est sortie de son contexte, de sa propre histoire, et placée dans la proverbiale vitrine, comme Millicent Clyde le voulait pour Paddington.
Un autre problème avec une collection comme celle de Harrison, est qu'il arrive un moment où les modes changent, et l'idée d'une pièce remplie de cadavres empaillés d'animaux autrefois vivants commence à se sentir quelque peu inconfortable. Il se peut donc que ces collections soient données à des musées, comme ce fut le cas ici à Scarborough. Au gré des modes, ces animaux sont mis en boîte, stockés jusqu'à ce qu'on en ait besoin, et leurs histoires sont perdues à jamais. Un Paddington dont on ne s'occupe jamais.
Avec la collection Harrison, cependant, il y a une différence. Oui, il a tué un grand nombre d'animaux avant de choisir les meilleurs pour les empailler, mais il a aussi gardé un compte rendu écrit à leur sujet. Ces journaux intimes constituent la différence fondamentale entre la collection Harrison et de nombreuses autres collections; ces journaux, animent les animaux. Au lieu d'être qu'une énième tête empaillée sur le mur, ou un ours caché derrière une vitrine, les journaux intimes de Harrison donnent de la substance à leurs histoires.
Le samedi 2 décembre 1899, Harrison a écrit.
"Je me suis levé à 5 h 45 et je suis parti à 6 h, après avoir loué 10 chameaux de kraal pour nous aider pendant une journée de marche. Je suis parti à la chasse le long des collines ; après 3 milles à chasser le koodoo, j'ai soudainement vu une queue sortir d'un grand trou dans un tas de fourmis. Voyant un animal, j'ai demandé à mon shikaree d'enfoncer un bâton, plus loin dans un trou latéral, et un mangeur de fourmis est sorti et je l'ai abattu tout de suite - une chance extraordinaire, car très peu de gens ont eu un aperçu d'un tel animal, et encore moins en ont abattu.”
La collection comprend ensuite sa photo du pauvre oryctérope, ainsi que l'animal complet sous sa forme taxidermisée.
L'animal aurait-il dû être abattu et tué au seul but de l'empailler et l'exposer ? Bien sûr que non, mais au moins ici, il y a un récit, une explication du pourquoi il fait parti de la collection, et non pas seulement une petite carte blanche affichée avec une date et son nom latin. Tout à coup, ces animaux ont une vie nouvelle, la possibilité que leurs histoires soient à nouveau racontées. Paddington serait heureux, et Millicent Clyde ? Absolument furieuse.